Bloguele Mai 30, 2013

À PART DEUX DES TOILES CONNUES DU LÉGENDAIRE VOYAGE SUR LE FLEUVE SKEENA EN 1926, TOUS SONT DANS DES MUSÉES

A.Y. Jackson a peint quelques toiles dites magiques dans les années mille neuf cent vingt. Réalisées sur des toiles de moyennes et de grandes dimensions avec une touche audacieuse d’expressionnisme, ses images de paysages, de villages et de maisons québécoises de même que de mâts totémiques des Premières Nations sont d’une beauté remarquable et impérissable.

 

Peu importe ses sujets, Jackson a toujours peint des toiles dont l’exécution reposait sur un remaniement à la moderne des leçons qu’il avait apprises à l’étranger et qu’il combinait à un nouveau genre de liberté qu’il avait découvert au contact de Tom Thomson et des membres du Groupe des Sept. Même si ses premières œuvres, par exemple Crépuscule sur le fleuve Skeena, étaient axées sur des couleurs plus sombres et des compositions plus denses, un fait demeure : les formes s’harmonisent avec délice dans de grands espaces. Comme il l’avait fait pour d’autres de ses œuvres des années mille neuf cent vingt, Jackson a peint la scène comme s’il était tout à fait seul dans le paysage.

 

Dans cette œuvre en particulier, l’observateur voit d’instinct l’aptitude de Jackson à créer un état d’âme à la fois puissant et poétique. Tout comme l’a écrit le critique d’art Fred Jacob au sujet des toiles de Jackson réalisées en 1924, par exemple Dawn (Aube) - Pine Island (Collection McMichael d’art canadien), chaque peinture présente « un état d’âme de la nature reproduit avec un raffinement qui ne gâche pas la puissance de la conception. » (traduction libre)

 

A.Y. Jackson (1882-1974) | Hazelton, C.-B., 1926 | dessin 21.3 x 27.6 cm | Propriété du Musée des beaux-arts du Canada (nº 17470r) | acheté en 1973 | Gracieuseté de la succession de la regrétée  Dre Naomi Jackson Groves

A.Y. Jackson (1882-1974), Hazelton, C.-B., 1926, dessin 21.3 x 27.6 cm, Propriété du Musée des beaux-arts du Canada (nº 17470r), acheté en 1973.

 

Gracieuseté de la succession de la regrétée Dre Naomi Jackson Groves Jackson a peint quelque cinq toiles à partir d’études faites au cours de son voyage sur le fleuve Skeena en 1926. Parmi les œuvres connues à ce jour, Crépuscule sur le fleuve Skeena et Village Kispayaks, ce dernier appartenant à la Art Gallery of Greater Victoria, sont les plus grandes. Crépuscule sur le fleuve Skeena est étroitement associée à un dessin de la collection du Musée des beaux-arts du Canada sur lequel Jackson a écrit « Hazelton, B.C. »

 

Toutefois, comme c’est le cas pour les autres œuvres réalisées dans la région, il a peint les mâts totémiques à grands traits, contrairement à ceux de la vallée de Kispiox (plus en aval du fleuve) qui sont nettement plus détaillés. Comme il ne savait trop quelle information spécifique véhiculer sur les Premières Nations, Jackson détourne l’attention de l’observateur en l’attirant sur ce qu’il sait qu’il peut peindre de main de maître, les aurores boréales dans le ciel, les effets de la lumière sur l’eau et les chaînes de montagnes en arrière-plan, bref tous des éléments qui en disent long sur ce qu’il pensait des endroits qu’il visitait.

 

En examinant attentivement la peinture, on remarque une des préférences de Jackson quand vient le temps de peindre des mâts totémiques. En effet, Jackson et Edwin Holgate qui l’accompagnait à l’occasion du voyage sur le fleuve Skeena en 1926 ainsi que Marius Barbeau préféraient des mâts totémiques inclinés vers l’avant ou vers l’arrière à des mâts droits sur des blocs de béton enfoncés dans le sol, et ce, contrairement à l’ingénieur de la Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada, un certain T.B. Campbell, qui avait la responsabilité de les redresser. (Quand les deux hommes lui ont reproché de redresser les mâts, Campbell leur a répliqué qu’il ne pouvait tolérer les mâts inclinés et a ajouté : « Vous pouvez les faire pencher comme vous voulez sur vos dessins. » )

 

Jackson a aussi relaté dans son autobiographie que les couleurs utilisées pour la restauration des mâts laissaient beaucoup à désirer. Les Premières Nations ne disposaient que de quelques couleurs de terres minérales naturelles que Jackson qualifiait de « douces et dignes ». Ce sont ces mêmes couleurs qu’il reprend ici. À l’occasion de l’exposition Canadian West Coast Art, les œuvres de Jackson ne se sont pas autant démarquées que les objets d’art autochtone et les toiles d’Emily Carr, mais Marius Barbeau a tout de même décidé de reproduire la peinture Village Kispayaks dans son ouvrage intitulé The Downfall of Temlaham (1928); il s’agit là d’une preuve que Barbeau reconnaissait l’importance de la contribution de Jackson. Jackson savait lui-même qu’il avait réalisé d’importants progrès avec ses toiles sur le fleuve Skeena et surtout avec cette toile.

 

Dans une lettre datée du 27 juin 1933, Jackson a écrit à Barbeau qu’il avait inclus cette œuvre sur la liste de ses toiles qu’il jugeait les plus importantes. Emily Carr a aussi signalé la qualité des œuvres de Jackson portant sur le fleuve Skeena. En 1927, elle a rendu visite à Jackson dans son studio. Elle a mentionné dans son journal qu’elle « avait aimé ses choses, notamment trois huiles sur le fleuve Skeena. Je me sentais battue à mon propre jeu. Ses toiles sur les Indiens ont quelque chose qui manque aux miennes, à savoir du rythme et de la poésie. » (traduction libre) Carr a sans doute jeté un coup d’œil sur cette toile qu’il s’apprêtait à présenter à l’exposition du Musée des beaux-arts du Canada.

 

Plus tard, la nièce de Jackson, Naomi Jackson Groves, a écrit que c’était les toiles de Jackson portant sur le fleuve Skeena qui « avaient donné à Emily un second souffle et une nouvelle vision de son art. » Ainsi, des peintures comme Crépuscule sur le fleuve Skeena ont permis à une grande artiste de se servir d’une œuvre d’un autre artiste comme d’une pierre de touche pour l’émuler. Elle avait sûrement vu dans des toiles comme celle-ci comment tous les éléments tombaient parfaitement en place. A.Y. Jackson a su avec cette peinture unifier et immortaliser la somme de toutes les pièces qui la composent de même que susciter l’admiration de tout observateur devant une telle cohérence qui est d’une beauté fascinante.

 

Écrit par Joan Murray © 

 

Joan Murray Joan Murray est "l'un des principaux experts au Canada concernant l'oeuvre de Tom Thomson et du Groupe des Sept. Elle est également l'auteur de dizaines de livres sur l'histoire de l'art canadien, plus particulièrement Canadian Art in the Twentieth Century (1999), Northern Lights: Masterpieces of Tom Thomson and the Group of Seven (1994), et McMichael Canadian Art Collection: One Hundred Masterworks (2006). Elle a aussi publié plus de cent catalogues et deux cents articles. Vous pourrez consulter son site web à http://joanmurrayart.com.

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