Un Portrait de l’iconographie canadienne
La populaire chute Montmorency est en toute saison un lieu de contemplation, de loisirs et de réjouissances aussi bien pour les citadins que pour les touristes. En hiver, les embruns et les vapeurs forment au pied du sault une colline de glace et de neige d’une trentaine de mètres de hauteur, familièrement appelée le Pain de sucre. Ce phénomène naturel spectaculaire est devenu très tôt une attraction majeure des environs de Québec. Lieu propice à l’escalade, à la promenade en raquettes, à la glissade en luge ou en toboggan, à la ballade en carriole, à la course en traineau, à la sculpture sur glace et même à la danse et au pique-nique ! Ce site « exotique » et festif a même captivé, de la fin du XVIIIe siècle jusque vers 1870, plusieurs officiers aquarellistes britanniques ainsi que des peintres et des photographes professionnels. L’aquarelle de Wilkinson nous situe à la base du cône de glace, côté ouest, tout près d’une cabane en bois saisonnière servant de taverne, surmontée d’un mât arborant l’Union Jack flottant au-dessus du drapeau français.2 Postés devant cette buvette temporaire, deux chevaux sont attelés à des berlines ou des sleighs recouverts de peaux de fourrure.
L’artiste attire surtout notre attention, à l’avant-plan, sur un groupe de quatre personnes: à gauche, un couple de bourgeois vu de dos, accompagné de leur fille, tous vêtus à la mode, écoute attentivement un habitant, à droite, pointant de la main une luge au sol. Ce Canadien semble négocier et convaincre les visiteurs néophytes de louer sa luge, puis de les monter sur le Pain de sucre. L’hypothèse est d’autant plausible que la femme et sa fille ne sont pas habillées pour l’escalade et que l’on peut voir au sommet du cône un personnage seul et debout regardant descendre un couple en traineau. Quoi qu’il en soit, cette scène anecdotique démontre un grand talent pour l’aquarelle, particulièrement dans les jeux d’ombre et de lumière sur les falaises de même que dans les contrastes des textures entre les conifères, les glaces et les rochers de chaque côté de la chute.
Un autre regard artistique et ethnographique sur un site, rendu dans toute sa splendeur, devenu, au cours du XIXe siècle, une véritable icône de l’imagerie canadienne. John B. Wilkinson est un artiste encore peu connu. Originaire d’Angleterre, Wilkinson réside à Québec en décembre 1864 où il travaille à la Galerie photographique de Jules-Isaïe Benoît dit Livernois, « À l’enseigne du Soleil d’Or » (Sign of the Golden Sun). Avec Joseph Dynes, il colorie, à l’huile ou à l’aquarelle, les photographies issues du studio, particulièrement les « portraits de grandeur naturelle ». L’engagement des deux artistes se poursuit jusqu’en juin 1865, alors que Wilkinson, un portraitiste « habile et consciencieux », part à son propre compte. Il offre alors de peindre à son atelier du 28, rue Saint-Jean, des portraits sur toile d’après nature ou des copies d’après miniatures, selon la grandeur voulue.
En octobre, l’artiste a l’intention de former, à son atelier, une classe de peinture et de dessin, d’après modèles, tirant profit de sa « grande expérience de l’enseignement en Angleterre ». En 1870, il présente un paysage du Vermont à l’exposition de la Society of Canadian Artists tenue à l’Art Association of Montreal. L’année suivante, Wilkinson expose une collection de ses tableaux au magasin de musique Morgan, à Québec. En 1873, il publie deux dessins sur l’excursion en sleigh du gouverneur général, Lord Dufferin, à Montmorency dans le Canadian Illustrated News du 25 janvier. Mais, en mars, le peintre, par manque de travail, doit quitter Québec pour Philadelphie où il poursuivra sa carrière.
Wilkinson maintiendra toutefois des liens avec le Québec puisque l’une de ses peintures est gravée dans le Canadian Illustrated News et L’Opinion publique, en octobre 1879 (Falls on the Jaune River, near Quebec City / Chutes sur la Rivière-Jaune, près de Québec) et que huit paysages québécois seront mis aux enchères par la Maison Hicks de Montréal, en 1888 Outre ses rares paysages de Charlevoix, des Cantons de l’Est et de la région de Québec, Wilkinson va livrer en aquarelle des scènes de genre hivernales, à la signature caractéristique : chasse au caribou, pêche sur la glace, glissade en toboggan et traversée du fleuve glacé, à Québec, promenade ou accident en traineau, perdu dans une tempête, transport de billots, etc. Son Cône de glace de la chute Montmorency s’inscrit dans cette iconographie locale.
Mario Béland, PHD., MSRC
Détenteur d’un doctorat en histoire de l’Université Laval, Mario Béland a été conservateur au Musée national des beaux-arts du Québec de 1985 à 2014. Il a collaboré, coordonné ou organisé plus de 40 expositions permanentes ou temporaires, à caractère monographique ou thématique. Auteur ou directeur d’une douzaine d’ouvrages dans le secteur de l’art ancien du Québec, il a aussi publié des dizaines d’articles, essais et notices dans des revues, des ouvrages collectifs ou des catalogues d’exposition. Membre de la Société royale du Canada depuis 2009, Mario Béland a reçu le Prix Carrière de la Société des musées du Québec, en 2014.
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