John Fox (1927-2008) - Une vue d'ensemble
AVANT-PROPOS: En collaboration avec Sandra Paikowsky, nous sommes ravis de vous présenter une exposition des oeuvres de John Fox.
La carrière de John Fox couvre plus de 50 années et pourrait se diviser en trois phases qui se chevauchent : la figuration, l’abstraction et la refiguration. Il a résidé à Montréal toute sa vie, mais de longs séjours à Paris, à Florence et à Venise, ainsi que son extraordinaire connaissance de l’histoire de l’art, ont façonné sa manière de peindre et sa pensée sur l’art.
Bien que ses œuvres soient aussi bien figuratives que non figuratives, elles partagent toutes la même sensibilité de tons, de lumière, de lignes et de structure. Mais, plus que tout, sa maîtrise de la couleur définit les émotions et sensations qui résonnent dans l’œuvre et donnent à ses images leur sens définitif. La peinture de Fox, de la fin des années cinquante jusqu’à 1972, raconte sa fascination pour les aspects familiers, ordinaires, de la vie quotidienne. Que ce soit un parc à Paris ou à Québec, une route de campagne en Italie ou une rue du centre-ville de Montréal, l’image reflète sa propre interprétation des sujets visuels de Degas, de Bonnard, de Vuillard et de Matisse. Leur réinvention visuelle des drames tranquilles de la vie moderne a inspiré l’œuvre de Fox tout au long de sa carrière et influencé durant toute sa vie sa définition de l’art, que ses images soient représentatives ou abstraites.
Plus concrètement, sa réponse claire et sensible à ses propres expériences du monde qui l’entourait évoque les préoccupations de peintres montréalais tels John Lyman et Goodridge Roberts ainsi que David Milne, en Ontario. Mais plus importante, pour Fox, a été l’œuvre de James Wilson Morrice, dont les récits paisibles récapitulent un moment dans le temps sans sensiblerie ni artifice. La sensibilité de Morrice à l’égard de la composition harmonieuse des formes, des espaces et des tons a inspiré les images de Fox et sa propre fusion picturale du regard avec la transcription de ce qu’il voyait et de ce qu’il ressentait.
À l’opposé de plusieurs autres artistes figuratifs canadiens de cette époque, Fox s’intéressait peu aux grands récits du paysage dramatique. Il préférait peindre les aspects profonds, intimes des gens, des lieux et des choses qui définissent les moments collectifs de nos vies. C’était cette vision alternative de l’art qui fait que les premières œuvres de Fox ont été si importantes pour la redéfinition du modernisme canadien et ses nouvelles façons d’exprimer le familier et le personnel.
Du début des années soixante-dix jusqu’à 1985, Fox a peint des images abstraites qui lui permettaient de réfléchir davantage à la manière de peindre qu’au sujet de la peinture. Ses nouvelles toiles étaient également une évolution naturelle des formes générales, aux contours flous et aux couleurs artificielles, de ses œuvres représentatives de la fin des années soixante. Les premières œuvres non figuratives de Fox, avec leurs bandes de tons similaires qui se côtoient, ont rapidement évolué en larges champs de couleurs transparentes flottant l’un sur l’autre. La douce géométrie architecturale de ses compositions abstraites était un moyen d’organiser la couleur et la lumière de son sujet imaginaire. Mais elle faisait aussi référence à la grille cachée de formes horizontales et verticales de ses images représentatives.
De la fin des années soixante-dix au début des années quatre-vingt, il a réinventé ses peintures abstraites en plaçant des arches libres au-dessus de voiles de couleur. Il a aussi peint un monde fantastique de rectangles, de cercles et de formes indéfinissables dans une explosion d’intenses couleurs. La peinture non figurative de Fox pendant quinze ans a été fortement influencée par les expressionnistes abstraits de New York, tels De Kooning et Rothko, ainsi que le peintre californien Richard Diebenkorn.
Il avait aussi des affinités avec les peintres abstraits canadiens comme Otto Rogers, dans l’Ouest, et les artistes de la seconde génération du Groupe des Onze à Toronto. Bien qu’il ait éprouvé une grande admiration pour l’abstraction géométrique montréalaise, il s’intéressait davantage aux coups de pinceau émotifs et aux couleurs ouvertement expressives de l’art non figuratif international. Dans le contexte de la peinture au Québec, sa sensibilité se rapproche davantage de celle de Jean McEwen, et il respectait profondément Borduas pour qui l’art n’était pas une question de figuration ou d’abstraction, mais d’idéalisme et d’intégrité.
Les abstractions de Fox, à partir de 1983, font de plus en plus référence au paysage ou au corps. En 1985, il décide de repenser la figuration et de s’éloigner des images non figuratives. Ses nouvelles peintures représentatives s’approprient la couleur, la lumière et les formes de ses abstractions, mais selon une imagerie plus familière. Depuis le milieu des années quatre-vingt jusqu’à 2008, Fox redéfinit visuellement les gens, les lieux et les choses à travers le miroir de sa propre vie. Son travail est aussi relié aux préoccupations internationales pour de nouvelles définitions de l’art figuratif ainsi que sa propre expérience de vingt années de peinture figurative. Sa profonde connaissance de l’histoire de l’art lui a aussi permis de réinventer des motifs et des thèmes du passé avec un vocabulaire visuel contemporain.
Durant toute sa carrière, Fox a continué de dessiner au crayon, au fusain et à l’aquarelle. Les gestes et marques énergiques de ces dessins, ainsi que l’entrelacement de lignes et de couleurs deviennent, là encore, le point de départ imaginatif et la conclusion visuelle de ses nouvelles compositions. Les images de Montréal ou de Venise suggèrent à la fois un emplacement spécifique et un lieu anonyme, évoquant le genre de sensations que l’on retrouve dans les représentations de villes par Morrice. Les vues de l’intérieur de son atelier de Montréal ou de sites vénitiens sont comme des portraits des lieux où Fox a travaillé. Elles ressemblent aussi à des natures mortes, incorporant les divers objets et matériaux qu’il utilisait pour produire ses tableaux.
Les toiles de Fox représentant le corps humain sont parmi ses œuvres tardives les plus expérimentales. D’une manière ou d’une autre, elles se rapportent à ses centaines de dessins de modèles et d’amis. Mais, même lorsque les toiles s’inspirent de personnes réelles, la composition des poses ou des gestes du corps est plus importante que la ressemblance faciale. D’autres peintures de gens proviennent en grande partie de son imagination, et les figures sont placées dans des lieux purement inventés qui semblent aussi réels que les images du paysage urbain qui entoure son atelier de Saint-Henri. C’est cette combinaison originale et accomplie du réel et de l’imaginaire, obtenue grâce à des couleurs magiques et sensuelles, qui définit l’œuvre tardive de Fox et sa place importante dans l’évolution actuelle de la peinture canadienne.
Tout au long de sa longue carrière, Fox a été un mentor important et un modèle pour des générations de jeunes peintres, dont plusieurs sont devenus des artistes canadiens importants. Ses peintures, aussi bien figuratives qu’abstraites, ont suscité une intense admiration parce que Fox comprenait et exprimait l’art de façon brillante, au-delà du temps et de l’espace. La présence de ses œuvres figuratives et non figuratives dans d’importantes collections publiques et privées à travers le Canada, ainsi que des expositions solo durant de longues années et plus récemment à Montréal et ailleurs, sont autant de témoignages de ses réalisations et d’une carrière exemplaire.
La peinture de John Fox représente l’engagement de toute une vie dans le monde qui l’entourait et la réinvention imaginative de cette expérience – aussi bien pour lui-même que pour tous ceux qui célèbrent la puissance et le plaisir de l’art.
Copyright © Sandra Paikowsky