Arthur Lismer
Cette année, nous avons le plaisir de vous faire découvrir Arthur Lismer dans le cadre de nos expositions rétrospectives. Toutes les toiles qui nous ont été prêtées proviennent de collections de musées, corporatives et de particuliers canadiens. Notre intention est de mieux faire connaître l'œuvre de Lismer auprès du public et rien ne saurait mieux s'y prêter qu'une exposition de ce genre. Nous savons qu'il est important et intéressant de discuter de beaux-arts, mais nous avons la conviction que rien ne peut remplacer la visualisation des œuvres elles-mêmes.
Arthur Lismer, un de nos plus grands artistes canadiens, a fait l'objet de travaux de recherche des plus complets au cours des années et je ne crois pas être en mesure d'ajouter davantage à ce que l'on connaît déjà à son sujet. En effet, sa fille, ses collègues et les artistes qui ont connu Lismer à ses tout premiers débuts ont fourni amplement d'information sur lui. Ma plus grande contribution se limitera donc à des souvenirs personnels - tirés de deux publications - présentés ci-après. Je me dois également de souligner l'excellent catalogue Canadian Jungle, réalisé par Dennis Reid.
Une des plus grandes joies de ma profession de marchand d'œuvres d'art est d'avoir le plaisir de faire la connaissance de gens de la trempe de Lismer. J'ai rencontré Lismer pour la première fois en 1950 alors qu'il avait déjà réalisé la majeure partie de son œuvre. Bien que notre relation eût toujours demeurée strictement professionnelle (Lismer protégeait farouchement sa vie privée), nous nous rencontrions souvent. Le bureau de Lismer, situé au Musée des beaux-arts de Montréal, était à quelques pas de ma galerie d'art. Lismer était un homme charmant, gentil, généreux et chaleureux qui avait un sens de l'humour des plus spontanés. Son œuvre m'a toujours attiré et mes rapports avec lui n'ont fait qu'approfondir ma compréhension et mon appréciation de son talent.
En matière de beaux-arts, les critiques ont généralement tendance à considérer les premières œuvres de bon nombre d'artistes comme leurs meilleures. Cette tendance existe toujours aujourd'hui même si l'histoire fait état de nombreux artistes qui ont atteint leur apogée créatrice tard dans la vie. Titien, par exemple, a peint des œuvres des plus importantes après l'âge de quatre-vingt ans. Ceux qui considèrent Lismer seulement comme un membre du Groupe des Sept perçoivent ses dernières œuvres - qui se démarquent du style populaire et facilement reconnaissable de ce Groupe - comme autant de témoignages d'une détérioration artistique plutôt que d'une évolution de son genre.
Pendant de nombreuses années, Lismer a repris, à sa manière distinctive, les sujets préférés du Groupe des Sept : îles, collines, lacs et forêts, généralement vus de loin. Au moment de la dissolution du Groupe des Sept, il avait abandonné ces sujets et adopté de nouvelles images et de nouveaux thèmes. Tout en continuant de s'inspirer de la nature, Lismer s'était rapproché de ses sujets. Le fait de peindre dans une perspective plus intimiste s'était traduit par une différence de style notable : son œuvre avait résolument la qualité de l'abstrait sans être tout à fait abstraite. C'est ce type de peintures réalisées plus tard au cours de sa carrière qui a été mal compris et injustement critiqué avec virulence. Changer de style et de perspective vers la fin d'une vie demande courage et imagination; voilà pourquoi les dernières œuvres d'Arthur Lismer méritent d'être réexaminées et réévaluées.
Toujours jovial, courtois et gentil, Lismer n'a jamais critiqué quel qu'humain que ce soit, encore moins un autre artiste. Lismer, une de ces personnes qui donne toujours plus qu'elle ne reçoit, se caractérisait ses élèves admirait une de ses œuvres, Lismer lui disait : « Vous devez avoir des problèmes de vue, mais si vous l'aimez, prenez-la. » La plupart des personnes acceptaient, que l'œuvre leur plaisait ou non, en raison de la réputation de Lismer, puis l'amenaient à ma galerie pour me demander ce que j'en pensais et me la laissait aux fins d'encadrement.
Il n'était jamais facile d'acheter une œuvre à Arthur Lismer. Il mentionnait parfois que puisqu'il n'avait pas besoin de peindre pour gagner sa vie, il ne voulait pas concurrencer ses collègues qui étaient obligés de le faire et qui connaissaient moins de succès. Toujours est-il que lorsque je parvenais à réunir quelques-unes de ses toiles, je devais lui en demander le prix. Avec Lismer, c'était toujours difficile de déterminer un prix; aussi m'invitait-il souvent à partir avec les œuvres, ajoutant qu'il me laisserait savoir leur prix dans quelques jours. Comme je ne pouvais rien faire avec ses peintures sans en connaître le prix, j'avais toujours hâte de savoir. Et quand je n'avais pas de ses nouvelles pendant une semaine, je lui téléphonais. Il me demandait généralement ce que j'avais pris puisqu'il ne se souvenait même pas que j'étais parti avec des toiles. Je trouvais ça tellement improbable que je me demandais souvent s'il ne jouait pas la comédie. Finalement, je devais retourner à son bureau pour mettre un prix - toujours modeste - à ses toiles... jusqu'à la prochaine fois.
Un de mes bons amis et collectionneur d'arts qui a également bien connu Arthur Lismer avait acheté quelques-unes de ses toiles. Il avait toujours voulu rendre visite à Lismer à son domicile, en partie sans doute pour voir les œuvres qui s'y trouvaient. Je lui ai dit que je n'étais jamais allé chez Lismer et que je ne connaissais personne qui était parvenue à le faire. Lismer et son épouse étaient tous deux natifs d'Angleterre et leur maison était leur royaume. Ils ne toléraient aucune intrusion. Mon ami, une personne d'affaires qui appelait Lismer par son prénom Arthur depuis longtemps, s'était planté sur le seuil, avait dit quelques mots puis avait refermé la porte. Le message ne pouvait être plus clair.
Une de ses premières grandes toiles Cathedral Mountain a été entreposée au Musée des beaux-arts de Montréal pendant plus de vingt ans. Elle était trop grande pour être remisée dans son sous-sol et Lismer n'avait pas d'autre endroit pour la ranger. Dans le cadre de l'une de ses visites régulières avec Lismer, mon collègue de Toronto, Blair Laing, avait acheté la toile et l'avait fait expédier à Toronto. Peu de temps après, le Musée des beaux-arts de Montréal achetait la toile. Lismer était content mais étonné. Il m'avait raconté que s'il y avait eu quelqu'un au Musée qui avait manifesté un intérêt pour la toile, il la lui aurait donnée avec plaisir.
Quand Lismer est décédé, on a retiré des effets personnels d'une pièce d'entreposage dans le sous-sol de sa demeure, y compris certains meubles qui étaient là depuis 25 ans, soit depuis que les Lismer étaient déménagés de Toronto à Montréal. Dans une de ces caisses, on a retrouvé de ses anciennes œuvres et un superbe panneau de son collègue Tom Thomson. À ma grande surprise et à mon soulagement, il avait légué une fortune intéressante à son épouse. Les Lismer avaient toujours vécu frugalement et n'avaient jamais acheté de voiture; de son côté, l'artiste avait toujours travaillé et peint. Même si l'argent n'intéressait pas son épouse, elle était à l'aise financièrement. Les tableaux et dessins récemment découverts ainsi que le Thomson nous ont été remis pour les vendre. Le produit de la vente du Thomson devait être remis au Musée des beaux-arts de Montréal aux fins d'établissement d'une bourse d'études Lismer. Il s'agissait là d'un geste d'une grande générosité. Malheureusement, le Centre d'arts a été fermé peu après le décès de Lismer et je n'ai jamais entendu parlé de la bourse d'études par la suite. L'argent a probablement été déposé dans un fonds général ou un fonds d'acquisition. Pourtant un fait demeure: Lismer, grâce à son œuvre, a établi son propre monument et ne pourra jamais être oublié.
Source: Catalogue de l'exposition rétrospective Arthur Lismer, Galerie Walter Klinkhoff (1997).
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