L'importance de l'expertise
L'expansion du marché canadien de l'art est synonyme de davantage de risques pour les acheteurs
Je suis d'avis qu'une galerie qui offre une expertise reconnue par le marché et qui propose des œuvres d'art de toute première qualité est une galerie à laquelle tout sérieux collectionneur devrait s'adresser en premier lieu quand vient le temps d'enrichir sa collection d'objets d'art. En effet, si votre galeriste ou encanteur n'a pas l'expertise requise, à savoir les connaissances voulues au sujet de l'artiste ou les documents justificatifs relatifs à l'œuvre convoitée, vous devriez peut-être alors reconsidérer la personne avec laquelle vous faites affaire.
Dernièrement, j'ai lu un rapport intitulé Observations Of The Art Market Over The Last 25 Years portant sur un sondage d'envergure exécuté à la demande de la TEFAF (The European Fine Art Foundation), responsable de la tenue annuelle de la prestigieuse foire d'art et d'antiquités de Maastricht; ce rapport a été compilé et analysé par la maison de recherche et de consultation Arts Economics fondée par la réputée Claire McAndrew, économiste et analyste en placements qui réside aujourd'hui en Irlande. Dans ce rapport, elle y mentionne que le marché des beaux-arts connaît une croissance phénoménale à l'échelle planétaire. Elle y fait état également de l'énorme importance qu'il faut accorder à la protection des acheteurs d'œuvres d'art car, selon elle, en raison de la très forte expansion du marché d'art sur la scène internationale, il y a aussi une prolifération de marchands d'objets d'art; cette situation l'amène donc à insister sur le besoin de faire affaire de plus en plus avec une galerie réputée pour sa grande expertise auprès de ses clients.
Sur le marché international de l'art, il n'est pas rare de voir un vendeur d'une œuvre d'art solliciter l'expertise d'un expert ou plus en la matière et de lui verser une avance sur ses honoraires professionnels, et ce, avant même que ladite œuvre d'art ne soit inspectée. L'expert demande toujours à être indemnisé avant même de jeter un coup d'œil sur l'œuvre d'art parce qu'il n'a généralement aucun intérêt particulier pour l'objet d'art et qu'il tient à être payé pour son travail de professionnel. (Je peux vous dire qu'il est plus facile de se faire payer par un client dont l'œuvre a été reconnue comme authentique par un expert que par un client dont l'authenticité de son objet d'art n'a pu être établie).
En avril 1996, dans la revue Art & Auction, Souren Melikian, mon rédacteur préféré d'articles sur les arts depuis toujours, reconnaissait déjà la valeur implicite des grands marchands d'objets d'art qu'il n'hésitait pas à qualifier de « connaisseurs ». « Des experts, comme ces marchands d'œuvres d'art le sont, savent associer tout le savoir d'un historien de l'art compétent à l'expression visuelle à nulle autre pareille du facies de ceux et celles qui ont acheté des objets d'art toute leur vie et qui ont risqué leur propre argent toutes les fois qu'ils ont porté un jugement avant de faire une acquisition. Selon lui, il n'y a rien de tel pour se concentrer sur ce que l'on fait. » (traduction libre) Je ne peux que présumer que le marché canadien des œuvres d'art sous toutes ses formes a progressé, lui aussi, dans des proportions similaires à celles du marché international.
Au cours de la dernière décennie, cette progression du marché des objets d'art s'est accentuée grâce à Internet puisque l'on retrouve aujourd'hui sur la toile des galeries d'art purement virtuelles qui n'ont aucun espace commercial ou physique réel pour y exposer leurs œuvres. Ce que cela signifie, c'est qu'il peut y avoir aujourd'hui un nombre important de marchands d'objets d'art, de galeries réelles, de galeries virtuelles et de maisons d'encan qui vendent, de bonne foi, des œuvres d'art vraisemblablement réalisées par de grands artistes à des prix compétitifs, mais qui n'ont aucunement l'expertise voulue et nécessaire pour valider l'authenticité des œuvres qu'ils offrent.
Quant à la provenance des œuvres, toutes les personnes visées s'en remettent généralement à la réputation et à la fiabilité des galeries d'art qui les ont vendues précédemment et à l'étiquette nominative qu'elles ont apposée au dos de ces œuvres, ou encore les vendent tout simplement sans aucune pièce d'attestation de l'authenticité. Je suis d'avis qu'il est périlleux de se procurer une œuvre d'art d'importance de tout marchand qui n'est pas en mesure de vous remettre au moment de l'achat des documents justificatifs reconnus sur le marché et délivrés par des experts en la matière qui exercent toujours leur profession. L'expertise est un ensemble de connaissances très particulières qu'une personne peut enrichir* au cours des années, mais à condition qu'elle travaille uniquement avec des œuvres qu'elle sait authentiques. Ce n'est qu'en travaillant continuellement avec d'autres œuvres d'un artiste ou de plusieurs artistes que cette personne peut développer sa propre expertise qui, bien évidemment, gagne en importance avec le temps.
L'évolution de l'expertise présuppose également qu'un avis d'expert rendu aujourd'hui sur une œuvre d'art en particulier pourrait être différent, disons dans dix ou quinze ans, de l'avis que pourrait rendre le même expert au sujet de la même œuvre. Tout expert a le droit de changer d'idée au fil des années en fonction de son expérience et de son éducation. Ce sur quoi je cherche à mettre l'accent dans mon présent exposé, c'est que ce n'est pas parce qu'une œuvre d'art était considérée comme authentique (avec toutes les pièces à l'appui) il y a 50 ans que le marché va la considérer comme telle aujourd'hui. La provenance devient alors intéressante, mais non une garantie.
Au Canada, les gens qui veulent bénéficier de l'expertise des marchands d'art ont tendance à manquer de sérieux dans leur approche. Ils se limitent généralement à nous dire qu'ils vont passer nous voir pour avoir un avis sur-le-champ et cherchent habituellement à nous faire comprendre que si une personne a l'expertise qu'ils recherchent – une expertise acquise au cours de nombreuses années – eh bien, que cette personne devrait mettre sa réputation à risque ou en danger, donner un avis d'expert en deux temps trois mouvements et faire tout cela sans être payée.
Il y a lieu de croire que la plupart des véritables experts ne fournissent leur expertise que pour des œuvres d'art qu'ils connaissent et non pour des œuvres qu'ils ne connaissent pas ou qui proviennent de marchands inconnus en raison de toutes les tensions et des responsabilités professionnelles civiles auxquelles ils s'exposent. * J'ai écrit que l'expertise et que le fait d'être connaisseur sont deux choses qui « peuvent » se développer avec l'expérience, quoique cela n'est pas nécessairement vrai. Il y a plein d'experts dans de nombreux domaines qui n'y comprennent rien.
Dans le cadre d'une discussion sur cette question avec un chirurgien de renom, celui-ci a recommandé à son interlocuteur de lire le livre intitulé Blink: The Power of Thinking Without Thinking, publié en 2005 et écrit par Malcolm Gladwell, lequel permet de mieux saisir le message que j'essaie de passer.
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Alain